Hi all
here is a most interesting article from "Le Gaulois", Monday 2 March 1891.
I hope I'll be soon able to translate it in English, with the help of Stephen Thomas or anybody else.
It's really worth reading, the journalist being offered a Ripper-tour by Henry Moore, and having also talked to Swanson and Williamson.
The article was published in 1891, but refers to events following the discovery of the Pinchin Street torso in September 1889 - as we know, Williamson was to die in December.
The article gives a fascinating insight into Whitechapel, its people and their relations with the police, the Leman Street police station, people in custody, etc... The Jewish-theory is also alluded to by Moore - for there were no Jewish victims...
Moore himself doesn't seem to endorse it (it rather seems that this theory is already abandoned), and apparently directed his inquiries towards doss-houses.
This is perhaps the most interesting information, for Moore seems to regularly ask the deputies of lodging-houses: "Nothing new ?"
The author of the article was one E. Bois-Glavy, of whom I know next to nothing, except that he had been a friend of French poet Robert Caze, killed in a duel in 1886.
Worth noting also the funny translation of "JtR", given as "Jacques l'Eventreur" - "James the Ripper" !
Le Gaulois, lundi 2 mars 1891
"A Whitechapel"
Le 10 septembre 1889, le cadavre mutilé d'une femme fut trouvé à Londres sous une des arches du chemin de fer qui traverse le quartier de Whitechapel.
C'était le 9e d'une série qui a rendu célèbre, dans le monde entier, le qualificatif donné au mystérieux assassin, Jacques l'Eventreur.
Me trouvant à Londres, je m'entretins avec mon confrère et ami, Mr T. Johnson, le distingué correspondant du Figaro, de ce nouveau crime, des conditions dans lesquelles il avait été commis, conditions toujours les mêmes, et je m'étonnais de l'inanité des efforts de la police anglaise à en découvrir l'auteur.
"Vous ne pouvez vous douter des difficultés que rencontre la police de sûreté pour arriver à un résultat", me dit Johnson, "et si vous le voulez, nous irons, ces jours-ci, voir Mr Williamson, le superintendent général de la sûreté, nous causerons avec lui - il parle supérieurement le français - et nous lui demanderons de nous faire visiter le lieu du crime avec un inspecteur."
J'acceptai immédiatement, et le lendemain, à 4 heures, un policeman nous introduisit à Scotland Yard - la préfecture de police londonienne - dans le bureau du superintendent général.
Mr Williamson, qui remplit ces fonctions, est un homme qui doit avoir atteint la soixantaine. Il y a deux ans, il comptait 37 ans de service dans la police londonienne ; c'est dire qu'il connaît à fond tous les dessous de cette ville, qui compte plus de 5 millions d'habitants.
Après les compliments d'usage, nous lui exposâmes le but de notre visite ; il nous accorda de la meilleure grâce l'autorisation que nous lui demandions, et fit appeler un de ses adjoints, Mr Swanson, chef-inspecteur, auquel il nous présenta selon la coutume anglaise.
Mr Swanson, un véritable gentleman, nous donna rendez-vous pour le surlendemain à 4 heures, à la station de police de Leman Street, en plein Whitechapel.
Nous fûmes exacts au rendez-vous, et un agent de police nous fit tout d'abord visiter la station de police, qui occupe toute une maison, avec une grande cour communiquant, par une porte de derrière, sur une rue adjacente.
Des violons diversement aménagés sont affectés aux différentes sortes de locataires qui les attendent.
Ceux pour les fous ressemblent à des cellules de maisons d'aliénés ; ceux destinés aux voleurs leur donnent un avant-goût de ce qui les attend à Newgate ou autre prison londonienne, et enfin les cellules destinées aux ivrognes, fort nombreux dans ce quartier, ont une installation toute spéciale. Les banquettes sont à claire-voie et le plancher percé à jour permet de déverser à profusion les seaux d'eau destinés à faire disparaître ce qui a pu gêner les amateurs trop passionnés de gin ou de whisky.
Du samedi soir au lundi matin, ces violons sont plus que bondés, et un crédit tout spécial est affecté pour sustenter ces ivrognes, qu'on nourrit de café noir et de tartines de beurre.
Cette visite terminée, Mr Swanson, dont d'autres affaires réclamaient la présence, nous confia aux soins de Mr Henry Moore, inspecteur du CID, et nous nous mîmes en route.
En chemin, Mr Moore dit qu'il se trouvait à Brighton, où il prenait des bains de mer, et qu'il avait subitement été rappelé pour procéder à l'enquête sur ce nouveau crime, parce que l'année précédente, il avait pu reconstituer l'identité d'une femme assassinée dans les mêmes conditions, le 9 novembre 1888.
Jane Kelly avait été découpée en une certaine quantité de morceaux par son assassin, qui s'était plu à les semer dans divers endroits ; la Tamise avait hérité de la tête, et grâce à son flair et à sa patience, Mr Moore était parvenu à reconstituer l'identité de la victime.
L'assassin n'avait pas été retrouvé pour cela, mais c'était tout au moins une satisfaction obtenue.
"Quant au crime d'aujourd'hui", nous dit Mr Moore alors que nous arrivions sous l'arche du pont où le cadavre avait été retrouvé, "nous n'avons rien pour nous guider. Voyez la place où le tronc humain a été ramassé entièrement nu, couché sur le côté, les bras repliés sur la poitrine ; c'est l'une des arches d'un viaduc de chemin de fer dont rien ne défendait l'accès.
Il est évident que l'assassin a jeté là son paquet, comme il eût jeté un paquet d'ordures ; mais comment n'a-t-il attiré l'attention de personne ? Comment a-t-il transporté le cadavre ? Sous les deux arches voisines, trois hommes dormaient. Ils disent n'avoir rien vu, rien entendu. C'est possible, après tout : l'indifférence est la règle de ce monde, qui a des motifs pour ne pas s'occuper des affaires du voisin."
"Je vais vous montrer", continua Mr Moore, "les divers endroits où les autres cadavres ont été trouvés, et vous jugerez par vous-mêmes de la facilité avec laquelle les assassins peuvent échapper à nos recherches."
Nous traversons un dédale de ruelles, nous entrons dans d'horribles impasses. Voici "l'Allée du Sang", ainsi surnommée parce que c'est là que se livrent les combats de malfaiteurs.
Dans la cour voisine, espèce de cité, couchent chaque nuit 2000 individus, le rebut de cette épouvantable population.
Quelques uns, une vingtaine, sont là et nous regardent avec des yeux féroces.
"Aucun de ces individus", nous dit Mr Moore, "ne se ferait scrupule de vous donner un coup de couteau pour un penny (deux sous)"; cela nous jette un froid.
Cette petite boutique, où l'on paraît vendre du lard et des oeufs, est le repaire d'un prêteur à la journée ; il réalise 2000 francs de bénéfices par semaine, en avançant aux camelots quelques shillings pour acheter les poires, les pommes, les boîtes d'allumettes qu'ils vont ensuite revendre par la ville.
Nous pénétrons dans une petite taverne. Mr Moore y est connu ; les trois ou quatre consommateurs qui y sont assis, sur des bancs de bois, le regardent avec une méfiance mélangée de crainte et plongent leur nez dans leur pot de bière. Un verre de gin, et Mr Moore ayant échangé quelques mots à voix basse avec le cabaretier, nous sortons.
"C'est", nous dit mr Moore, "le club des brigands, c'est là qu'ils se réunissent tous les soirs et que se tient une sorte de bourse au crime, ils s'indiquent et se vendent les coups à faire."
Nous ne sommes pas fâchés d'être dehors ; nous arrivons à Mitre Square.
Une cour assez vaste, au milieu de laquelle se trouve un trou entouré d'une muraille à hauteur d'appui : c'est le réceptacle à ciel ouvert de toutes les ordures des locataires du square.
Deux enfants sont au fond du trou, ils y jouent avec des choses sans nom. Sur des cordes tendues en travers du square sèchent des loques.
Le 30 septembre 1888, on trouvait dans Mitre Square le corps de la fille Eddowes ; le cadavre était mutilé, et personne, suivant la coutume, n'avait rien entendu.
Ce même 30 septembre, au coin de Berner Street, à 10 minutes de Mitre Square, on découvrait un autre cadavre, celui d'Elizabeth Stride ; la gorge était coupée, mais Jack the Riper (sic) n'avait pas, sans doute, eu le temps d'accomplir les mutilations ordinaires.
Nous traversâmes ensuite le quartier des Juifs. Les affiches sont en hébreu, on y parle hébreu, et il y a un journal dans cette langue. Sur le pas des portes grouillent des enfants dépenaillés, des femmes au type très accentué y font le triage des immondices. Une puanteur épouvantable s'échappe de ces chiffons, de ces os, de ces arêtes de poisson, puanteur compliquée de l'odeur d'une épaisse fumée que vomit une cheminée monumentale dans laquelle on brûle tous les détritus du quartier.
Mr Moore nous assure que toute cette population est honnête. Cependant il nous fait remarquer que pas une femme assassinée n'était juive, ce qui a d'abord amené cette supposition que le meurtrier appartenait à cette religion et exerçait une vengeance quelconque. Il y a dans ce quartier 10 ou 12000 tailleurs, presque tous allemands ou polonais ; ils étaient alors en grève et tenaient des meetings dans ces rues où il ne passe pas de voiture.
Poursuivant notre course nous arrivons à Brick Lane dans une maison modèle, construite exprès pour les ouvriers.
Le 7 août 1888, on relevait sur le palier du premier étage, à côté des lieux d'aisances, le corps de Martha Turner, percé de 39 blessures. Martha Turner n'habitait pas la maison, et le criminel est resté inconnu. L'escalier de ces bâtiments étant extérieur, il est aisé de s'y introduire ; mais, quand on traîne un cadavre, cela peut offrir quelques difficultés.
Le plus extraordinaire dans ces meurtres, d'après Mr Moore, c'est que le coupable ne laisse pas la moindre trace de son passage et que l'on ne s'explique pas comment il transporte ses sinistres fardeaux.
"Nous ne pouvons", nous dit Mr Moore, "tirer que très peu de renseignements des gérants de ces garnis [= common lodging houses] devant lesquels vous vous trouvez ; leurs locataires sont pour eux des numéros qu'ils ne veulent même pas connaître." Certains de ces garnis reçoivent jusqu'à 500 personnes par nuit, moyennant 8 pence (80 centimes) payés d'avance. Le premier couple venu se procure un asile tranquille pour la nuit. Toutefois, c'est dans ces garnis que Mr Moore espère trouver un jour l'insaisissable criminel.
"Rien de nouveau ?" demande-t-il aux gérants qui le saluent.
"Rien de nouveau", répondent-ils - et nous passons.
"100 constables vont", nous dit-il, "pendant 3 mois, fouiller nuit et jour, la nuit surtout, le quartier de Whitechapel, et suivant l'expression anglaise, nous ne laisserons pas une pierre sans la retourner ; mais nous cherchons une aiguille dans une botte de foin, il convient de ne pas l'oublier."
Sur ce, nous quittâmes Mr Moore, qui nous proposa de revenir dans la soirée ; nous le remerciâmes et déclinâmes son offre ; nous étions rompus, nous avions marché trois heures, et nous n'avions pas fait trois kilomètres à vol d'oiseau.
Quand, une heure plus tard, le cab nous arrêta dans Regent Street, devant le café Royal, il nous sembla, à Johnson et à moi, que nous sortions d'un horrible cauchemar.
E. Bois-Glavy.
Amitiés all
David
here is a most interesting article from "Le Gaulois", Monday 2 March 1891.
I hope I'll be soon able to translate it in English, with the help of Stephen Thomas or anybody else.
It's really worth reading, the journalist being offered a Ripper-tour by Henry Moore, and having also talked to Swanson and Williamson.
The article was published in 1891, but refers to events following the discovery of the Pinchin Street torso in September 1889 - as we know, Williamson was to die in December.
The article gives a fascinating insight into Whitechapel, its people and their relations with the police, the Leman Street police station, people in custody, etc... The Jewish-theory is also alluded to by Moore - for there were no Jewish victims...
Moore himself doesn't seem to endorse it (it rather seems that this theory is already abandoned), and apparently directed his inquiries towards doss-houses.
This is perhaps the most interesting information, for Moore seems to regularly ask the deputies of lodging-houses: "Nothing new ?"
The author of the article was one E. Bois-Glavy, of whom I know next to nothing, except that he had been a friend of French poet Robert Caze, killed in a duel in 1886.
Worth noting also the funny translation of "JtR", given as "Jacques l'Eventreur" - "James the Ripper" !
Le Gaulois, lundi 2 mars 1891
"A Whitechapel"
Le 10 septembre 1889, le cadavre mutilé d'une femme fut trouvé à Londres sous une des arches du chemin de fer qui traverse le quartier de Whitechapel.
C'était le 9e d'une série qui a rendu célèbre, dans le monde entier, le qualificatif donné au mystérieux assassin, Jacques l'Eventreur.
Me trouvant à Londres, je m'entretins avec mon confrère et ami, Mr T. Johnson, le distingué correspondant du Figaro, de ce nouveau crime, des conditions dans lesquelles il avait été commis, conditions toujours les mêmes, et je m'étonnais de l'inanité des efforts de la police anglaise à en découvrir l'auteur.
"Vous ne pouvez vous douter des difficultés que rencontre la police de sûreté pour arriver à un résultat", me dit Johnson, "et si vous le voulez, nous irons, ces jours-ci, voir Mr Williamson, le superintendent général de la sûreté, nous causerons avec lui - il parle supérieurement le français - et nous lui demanderons de nous faire visiter le lieu du crime avec un inspecteur."
J'acceptai immédiatement, et le lendemain, à 4 heures, un policeman nous introduisit à Scotland Yard - la préfecture de police londonienne - dans le bureau du superintendent général.
Mr Williamson, qui remplit ces fonctions, est un homme qui doit avoir atteint la soixantaine. Il y a deux ans, il comptait 37 ans de service dans la police londonienne ; c'est dire qu'il connaît à fond tous les dessous de cette ville, qui compte plus de 5 millions d'habitants.
Après les compliments d'usage, nous lui exposâmes le but de notre visite ; il nous accorda de la meilleure grâce l'autorisation que nous lui demandions, et fit appeler un de ses adjoints, Mr Swanson, chef-inspecteur, auquel il nous présenta selon la coutume anglaise.
Mr Swanson, un véritable gentleman, nous donna rendez-vous pour le surlendemain à 4 heures, à la station de police de Leman Street, en plein Whitechapel.
Nous fûmes exacts au rendez-vous, et un agent de police nous fit tout d'abord visiter la station de police, qui occupe toute une maison, avec une grande cour communiquant, par une porte de derrière, sur une rue adjacente.
Des violons diversement aménagés sont affectés aux différentes sortes de locataires qui les attendent.
Ceux pour les fous ressemblent à des cellules de maisons d'aliénés ; ceux destinés aux voleurs leur donnent un avant-goût de ce qui les attend à Newgate ou autre prison londonienne, et enfin les cellules destinées aux ivrognes, fort nombreux dans ce quartier, ont une installation toute spéciale. Les banquettes sont à claire-voie et le plancher percé à jour permet de déverser à profusion les seaux d'eau destinés à faire disparaître ce qui a pu gêner les amateurs trop passionnés de gin ou de whisky.
Du samedi soir au lundi matin, ces violons sont plus que bondés, et un crédit tout spécial est affecté pour sustenter ces ivrognes, qu'on nourrit de café noir et de tartines de beurre.
Cette visite terminée, Mr Swanson, dont d'autres affaires réclamaient la présence, nous confia aux soins de Mr Henry Moore, inspecteur du CID, et nous nous mîmes en route.
En chemin, Mr Moore dit qu'il se trouvait à Brighton, où il prenait des bains de mer, et qu'il avait subitement été rappelé pour procéder à l'enquête sur ce nouveau crime, parce que l'année précédente, il avait pu reconstituer l'identité d'une femme assassinée dans les mêmes conditions, le 9 novembre 1888.
Jane Kelly avait été découpée en une certaine quantité de morceaux par son assassin, qui s'était plu à les semer dans divers endroits ; la Tamise avait hérité de la tête, et grâce à son flair et à sa patience, Mr Moore était parvenu à reconstituer l'identité de la victime.
L'assassin n'avait pas été retrouvé pour cela, mais c'était tout au moins une satisfaction obtenue.
"Quant au crime d'aujourd'hui", nous dit Mr Moore alors que nous arrivions sous l'arche du pont où le cadavre avait été retrouvé, "nous n'avons rien pour nous guider. Voyez la place où le tronc humain a été ramassé entièrement nu, couché sur le côté, les bras repliés sur la poitrine ; c'est l'une des arches d'un viaduc de chemin de fer dont rien ne défendait l'accès.
Il est évident que l'assassin a jeté là son paquet, comme il eût jeté un paquet d'ordures ; mais comment n'a-t-il attiré l'attention de personne ? Comment a-t-il transporté le cadavre ? Sous les deux arches voisines, trois hommes dormaient. Ils disent n'avoir rien vu, rien entendu. C'est possible, après tout : l'indifférence est la règle de ce monde, qui a des motifs pour ne pas s'occuper des affaires du voisin."
"Je vais vous montrer", continua Mr Moore, "les divers endroits où les autres cadavres ont été trouvés, et vous jugerez par vous-mêmes de la facilité avec laquelle les assassins peuvent échapper à nos recherches."
Nous traversons un dédale de ruelles, nous entrons dans d'horribles impasses. Voici "l'Allée du Sang", ainsi surnommée parce que c'est là que se livrent les combats de malfaiteurs.
Dans la cour voisine, espèce de cité, couchent chaque nuit 2000 individus, le rebut de cette épouvantable population.
Quelques uns, une vingtaine, sont là et nous regardent avec des yeux féroces.
"Aucun de ces individus", nous dit Mr Moore, "ne se ferait scrupule de vous donner un coup de couteau pour un penny (deux sous)"; cela nous jette un froid.
Cette petite boutique, où l'on paraît vendre du lard et des oeufs, est le repaire d'un prêteur à la journée ; il réalise 2000 francs de bénéfices par semaine, en avançant aux camelots quelques shillings pour acheter les poires, les pommes, les boîtes d'allumettes qu'ils vont ensuite revendre par la ville.
Nous pénétrons dans une petite taverne. Mr Moore y est connu ; les trois ou quatre consommateurs qui y sont assis, sur des bancs de bois, le regardent avec une méfiance mélangée de crainte et plongent leur nez dans leur pot de bière. Un verre de gin, et Mr Moore ayant échangé quelques mots à voix basse avec le cabaretier, nous sortons.
"C'est", nous dit mr Moore, "le club des brigands, c'est là qu'ils se réunissent tous les soirs et que se tient une sorte de bourse au crime, ils s'indiquent et se vendent les coups à faire."
Nous ne sommes pas fâchés d'être dehors ; nous arrivons à Mitre Square.
Une cour assez vaste, au milieu de laquelle se trouve un trou entouré d'une muraille à hauteur d'appui : c'est le réceptacle à ciel ouvert de toutes les ordures des locataires du square.
Deux enfants sont au fond du trou, ils y jouent avec des choses sans nom. Sur des cordes tendues en travers du square sèchent des loques.
Le 30 septembre 1888, on trouvait dans Mitre Square le corps de la fille Eddowes ; le cadavre était mutilé, et personne, suivant la coutume, n'avait rien entendu.
Ce même 30 septembre, au coin de Berner Street, à 10 minutes de Mitre Square, on découvrait un autre cadavre, celui d'Elizabeth Stride ; la gorge était coupée, mais Jack the Riper (sic) n'avait pas, sans doute, eu le temps d'accomplir les mutilations ordinaires.
Nous traversâmes ensuite le quartier des Juifs. Les affiches sont en hébreu, on y parle hébreu, et il y a un journal dans cette langue. Sur le pas des portes grouillent des enfants dépenaillés, des femmes au type très accentué y font le triage des immondices. Une puanteur épouvantable s'échappe de ces chiffons, de ces os, de ces arêtes de poisson, puanteur compliquée de l'odeur d'une épaisse fumée que vomit une cheminée monumentale dans laquelle on brûle tous les détritus du quartier.
Mr Moore nous assure que toute cette population est honnête. Cependant il nous fait remarquer que pas une femme assassinée n'était juive, ce qui a d'abord amené cette supposition que le meurtrier appartenait à cette religion et exerçait une vengeance quelconque. Il y a dans ce quartier 10 ou 12000 tailleurs, presque tous allemands ou polonais ; ils étaient alors en grève et tenaient des meetings dans ces rues où il ne passe pas de voiture.
Poursuivant notre course nous arrivons à Brick Lane dans une maison modèle, construite exprès pour les ouvriers.
Le 7 août 1888, on relevait sur le palier du premier étage, à côté des lieux d'aisances, le corps de Martha Turner, percé de 39 blessures. Martha Turner n'habitait pas la maison, et le criminel est resté inconnu. L'escalier de ces bâtiments étant extérieur, il est aisé de s'y introduire ; mais, quand on traîne un cadavre, cela peut offrir quelques difficultés.
Le plus extraordinaire dans ces meurtres, d'après Mr Moore, c'est que le coupable ne laisse pas la moindre trace de son passage et que l'on ne s'explique pas comment il transporte ses sinistres fardeaux.
"Nous ne pouvons", nous dit Mr Moore, "tirer que très peu de renseignements des gérants de ces garnis [= common lodging houses] devant lesquels vous vous trouvez ; leurs locataires sont pour eux des numéros qu'ils ne veulent même pas connaître." Certains de ces garnis reçoivent jusqu'à 500 personnes par nuit, moyennant 8 pence (80 centimes) payés d'avance. Le premier couple venu se procure un asile tranquille pour la nuit. Toutefois, c'est dans ces garnis que Mr Moore espère trouver un jour l'insaisissable criminel.
"Rien de nouveau ?" demande-t-il aux gérants qui le saluent.
"Rien de nouveau", répondent-ils - et nous passons.
"100 constables vont", nous dit-il, "pendant 3 mois, fouiller nuit et jour, la nuit surtout, le quartier de Whitechapel, et suivant l'expression anglaise, nous ne laisserons pas une pierre sans la retourner ; mais nous cherchons une aiguille dans une botte de foin, il convient de ne pas l'oublier."
Sur ce, nous quittâmes Mr Moore, qui nous proposa de revenir dans la soirée ; nous le remerciâmes et déclinâmes son offre ; nous étions rompus, nous avions marché trois heures, et nous n'avions pas fait trois kilomètres à vol d'oiseau.
Quand, une heure plus tard, le cab nous arrêta dans Regent Street, devant le café Royal, il nous sembla, à Johnson et à moi, que nous sortions d'un horrible cauchemar.
E. Bois-Glavy.
Amitiés all
David
Comment